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Une boucle, serrée, rebelle, impossible à soumettre, juste là, sur la nuque. Mes doigts doucement s’en approchent. Précautions infinies. Ne pas la faire fuir. Je la touche, elle est douce, délicate entre le pouce et l’index. Je retiens mon souffle, apnée de tendresse. Cette mèche me trouble, la chaleur de la nuque qui effleure ma peau gagne tout mon être. Descendre lentement sur l’épaule où la peau est si douce, à peine, du bout des doigts.
Le corps tendu, les gestes retenus pour ne pas te réveiller. Que ne disparaisse pas l’instant précieux. Et le désir impérieux de ta peau, de ton corps contre moi. Le besoin à nouveau de t’entendre gémir, soupirer, de respirer le chant plaintif de ton abandon. Déjà dans la pénombre, dans ces heures absentes de la nuit qui n’existent jamais vraiment, j’ai senti le changement.
Ta peau qui maintenant vibre sous ma main, comme la drisse sous le vent du large. Tu es réveillée, j’en ai la certitude, et ton souffle est plus court. Ton buste, tes seins, se soulèvent. Je suspend mon geste, coupable et impatient. Tu fais durer l’attente. Puis tu te tourne vers moi, et malgré l’obscurité plus intense je devine ton sourire. Je suis rassuré. Un souffle soudain abolit le temps et cette chambre autour de nous : « oui… ».
Tes lèvres enfin trouvent les miennes, tes bras se resserrent autour de mon torse. « Viens… ». Les étoiles quittent le ciel et peuplent ton regard. Le reste n’appartient qu’à nous.

Grand plaisir et grande fierté d’accueillir ana nb dans cet espace qui aujourd’hui est donc le sien. Bonheur de lui avoir, sur sa proposition (merci infiniment ana), laissé les clés de la maison, et de découvrir le si beau résultat, juste là, en dessous. Autour de la phrase qui donne son titre à ce texte nous avons chacun cherché notre voie/voix. Une belle expérience et un très beau cadeau offert par ana. Merci encore à elle.
Ma contribution sur son blog ici

 

ici – l’intérieur des lettres éclatent des sons se répandent – les bords cognent nos bouches et les angles des lettres nos palais –

loin – battements de mains – bâtons entrechoqués – voix

ici – dans notre ville en destruction permanente les rues les places les murs les pierres les voix disparaissent chaque jour –

loin – un homme avance

ici – le jour est une lame –

loin – un homme écoute le cheminement de l’eau

ici – la nuit est une lame –

loin – battements de mains – bâtons entrechoqués – voix de femmes

ici – no puedo dudar – je – je ne-

loin – battements de mains – bâtons entrechoqués – voix d’hommes

ici – we are under the reality of the situation –

loin – un homme porte de l’eau

ici – we are under the langage of the desordre

loin – une maison

ici – we are under the song of the life

loin – quatre mains frottent glissent pincent distendent un arc de corde tendue

ici – no puedo dudar –

loin – un homme écoute

ici – nous perdons chaque jour nos yeux nos oreilles notre cœur –

loin – la maison résonne du son de la corde tendue – du plus haut de la maison au plus bas de la maison

ici – no puedo dudar – je – je ne – appuie armes appuie sentences appuie disparitions appuie morts appuie disparition appuie armes appuie sentences appuie morts appuie disparitions appuie morts appuie armes appuie sentences appuie disparitions appuie morts appuie disparition appuie armes appuie sentences appuie morts appuie disparitions appuie morts appuie armes appuie sentences appuie disparitions appuie morts appuie disparition appuie armes appuie sentences appuie morts appuie disparitions appuie morts appuie –

loin – d’autres mains d’autres cordes tendues du plus haut des maison au plus bas des maisons

ici – sourde salve sonore –

loin – voix souffles soutenues

loin très loin – roulements sonores assourdissants

ici – friction sourde de nos pas – nous marchons maintenant vers la fin de la ville –

ici – la nuit nous sert de forêt

no puedo dudar – nous traçons le premier chemin – nous transformons notre langue – avec la couleur de nos yeux avec le mouvement de nos pas avec toutes les lignes du ciel et ses astres – no puedo dudar – nous retraçons le passage du vent dans nos bouches – nos voix portent ouvert le monde – Bracelets of Life Line of Life Moon Sun Double Martial Line Reason Line Line of Head Venus Jupiter Mercury Mars – no puedo dudar – le bleu avance – le bleu couvre de nuit nos peaux et nos voix – nos mains élèvent des arbres – nous retraçons le passage du vent dans les arbres – no puedo dudar – nous traversons parfois seul le silence – nous répétons l’histoire de l’oiseau ivre – nous volons le chant de l’oiseau ivre – nous refusons l’arrivée du jour – nous courrons nos voix greffées au vent – no puedo dudar – la nuit nous sert de forêt

ana nb

 

Il avait fait ce rêve,encore. Un rêve, que d’autres auraient appelé cauchemar. Mais pour lui ce n’était pas ça. Troublant, dérangeant, oui sans doute. Mais fascinant aussi. Il s’était rêvé sourd. Complètement. Pas de ces personnages qui lisaient sur les lèvres, ou qu’un savant appareillage maintenait dans le bruit du monde. Non. Une surdité soudaine, totale, absolue.

Passé le moment de panique de se trouver brutalement privé d’un de ses sens, il avait rapidement goûté à une paix nouvelle. Un sentiment serein qu’il n’avait jamais éprouvé. Il n’aurait su dire pourquoi, mais les choses, les êtres, lui avaient paru plus clair, plus précis, enfin compréhensibles. Comme s’il avait vu, vraiment vu, pour la première fois.

Bien entendu, les gens autour de lui semblaient très affectés par l’apparition brutale de ce handicap. Et ils lui témoignaient sympathie, affection, compassion, semblant préoccupés de son nouvel état. Lui souriait. Ne comprenait pas la panique et l’agitation de ses proches face à cet événement. Il percevait clairement leurs tentatives pour communiquer avec lui. Les voyait saisir papiers et crayons pour tenter de franchir la barrière silencieuse entre eux et lui. Points d’interrogation multipliés à l’infini autour de lui. Mais la cause lui en restait étrangère. Et malgré ses efforts pour les rassurer, malgré les sourires et les regards apaisant qu’il prodiguait autour de lui, ils ne semblaient pas comprendre.

Après un long moment de perplexité, il avait finalement réalisé. Ce n’était pas qu’il ait cesser d’entendre qui les affolait tant. Il avait également cessé de parler. Il ne s’en était pas aperçu immédiatement. Absorbé par la découverte de son nouvel univers, par le regard neuf qu’il portait sur les autres (comme ils semblaient tous si différents, comme il les comprenait mieux depuis qu’il ne les entendait plus !), il ne s’était pas immédiatement rendu compte que lui, aussi, était devenu silencieux. L’espace d’un instant, son sourire disparu de ses lèvres. Tandis qu’il mesurait les implications de cette révélation.

Bien vite son visage s’éclaira de nouveau, plus paisible et serein encore que précédemment. Il venait de percer le secret de la douce félicité dans laquelle il évoluait depuis ce soudain handicap. Ce n’était pas tant leur silence, ô combien précieux pourtant, qui l’apaisait à ce point. Non. C’était le sien. Se taire enfin, ne plus chercher à se faire entendre, ni comprendre. Garder sa voix, ses mots, pour soi-même. La paix était à ce prix.

Ce jour-là, lorsque le réveil le tira de son rêve, prouvant par là que son infirmité était bien fictive, il sourit au jour d’une façon nouvelle. Heureux enfin.

Et plus jamais il ne dit un mot.

Ses premiers pas sur la terre ferme étaient hésitants, fragiles, comme s’il n’était pas certain de pouvoir encore produire le suivant. Et pourtant il marchait. Après tout ce temps. Le voyage de retour avait été interminable. Il repensait à son départ, à l’euphorie qui l’avait alors porté et lui avait fait trouvé le trajet si court. Il en avait savouré chaque jour. Il avait alors l’étoffe des héros, il la sentait en lui. Et le bras long. « Coupe les manches, ça te fera un petit boléro » lui avait lancé le capitaine Déprauge après quelques verres, la veille du lancement. Il souriait en repensant que, sur l’instant, il n’avait pas compris la plaisanterie.

Deux ans qu’il était parti explorer les confins les plus sombres de ce coin de galaxie. La première mission dans ces recoins obscures. Il y avait découvert des couleurs et une lumière qui avaient marqué son regard à jamais. Et malgré les attaques d’une vieille maladie martienne, chronique, souvenir de ses années de formation à l’Ecole Martienne de Formation des Pilotes, cette mission solitaire resterait à jamais la plus belle de sa carrière. Et pourtant. Pourtant que ce vaisseau était exigu, que la solitude, parfois, pouvait être pesante.

Il se retourna, jeta un coup d’oeil à la porte encore ouverte du petit vaisseau fumant et mutilé par deux années de vents solaires et de tempêtes de météorites. Son regard accrocha l’indicateur de température. Celui-ci indiquait 451 degrés Fahrenheit. Quelque chose clochait finalement. Demain il en parlerait à Ray, l’ingénieur en charge des instruments de mesure. Demain. Oui.

Pourquoi l’imparfait ? Parce que la perfection n’existe pas.

Elle avait laissé ses mots à elle, là, sur l’armoire. Petits rectangles blancs couverts de signes verts. Il les voyait chaque jour. Son cœur un peu plus serré chaque fois dans sa poitrine. Leur existence le rassurait, mais leur message… Il n’avait pas oublié les autres mots, petite écriture serrée, encre violette. Il pouvait encore les réciter, comme les matras qu’ils étaient devenus. Et les petites phrases vertes résonnaient avec les plus anciennes, vingt ans déjà. Il se souvenait encore, se souviendrait toujours. S’accrocher à l’écrit. Comme une preuve invariable de son existence à elle.

Il les lisait. Les relisait. Et cherchait en eux la trace de sa vérité. Lui, imparfait entre tous, dépositaire de cette pensée précieuse comme aucune autre.

Elle avait laissé ses mots à elle, là, dans son âme. Il les lirait longtemps encore. Il l’attendrait toujours.

Mon cœur bat au ralenti, presque irréel. La forêt s’est faite silence depuis longtemps déjà. Des jours entiers que je suis blotti là. Invisible. Transparent. Oublié peu à peu par tous les êtres qui m’entourent. Jusqu’à ne devenir qu’une ombre, partie négligeable du paysage. La faim hurle au fond de mon ventre. Mais ne pas faire le moindre geste. Attendre, encore. Ne faire plus qu’un avec les pierres, la vie à l’arrêt.

Je dois être patient. Ne pas sentir le vent, ne pas entendre frémir les branches. Oublier la vie, là, autour. Ils vont finir par ne plus me voir, ne plus même se souvenir que j’ai existé. Alors seulement, je déciderai. Je pousserai un hurlement qui leur glacera le cœur. Ou je fondrai sur l’un d’eux, proie sans défense sous mes crocs. Peut-être disparaitrai-je tout simplement. Dernier de mon espèce, je deviendrai une simple ligne de plus sur la liste. Espèces éteintes.

Le dernier loup. Nuisible ils disent. À qui manquera-t-il ?

Il l’a croisé, un matin. Un type d’à peu près son âge. Un peu plus peut-être. Oui, un peu plus probablement. Et il est resté figé, stupéfait par ce visage qui racontait une vie. Il n’avait jamais remarqué à quel point un visage pouvait tout dire d’un être. Peut-être fallait-il atteindre un certain point dans la vie, l’expérience de soi et des autres, pour s’en rendre compte.
Ce matin là, il avait tout lu sur le visage de cet homme, en quelques secondes. Il avait compris dans chaque pli, chaque ride, la moindre lâcheté, la plus infime trahison, chaque renoncement, tous les échecs, les peurs, les déceptions. La tristesse aussi. Même la plus secrète blessure intime était là, visible par tous. Gravée dans la chair.
Était-il le seul à s’en apercevoir ? Les autres lisaient-ils aussi cet homme à livre ouvert ? Il se demandait comment qui que ce soit pouvait bien parler, plaisanter, rire, avec ce fantôme. Ce visage lui inspirait l’envie de fuir très loin, au soleil, là ou les couleurs pouvaient lui rappeler que la vie peut-être quelque chose de bien, de beau. Et pas ce désert aride imprimé aux coins des yeux, dans les plis des joues de cet individu . Cartographie misérable à cœur de peau. Une femme aimait-elle encore ce visage ? Le touchait-elle ? Le trouvait beau peut-être ?
Puis il a compris.

Il l’a croisé, un matin. Son reflet dans le miroir.

Le coeur qui bat, lent, sourd, profond. L’estomac se serre. Une larme tombe. Une seule. L’écho de l’impact de ces quelques molécules d’eau sur le plancher s’amplifie à devenir assourdissant. Le souffle est haché, douloureux, court. Mais régulier cependant. La tristesse semble venir du fond de l’âme, elle n’est pas toujours là pourtant. À cet instant, elle est tout, douce et impérieusement nécessaire. Elle devient le battement du coeur lui-même. Un sanglot, spasme de tout le corps, et le flot se libère. Les ruisseaux sur les joues se font fleuves, s’élargissent, fleuves sauvages dont la crue ne peut alors plus être endiguée. Plus aucune pensée ne prend forme, devenir l’eau, devenir la voix de ce chagrin profond, sans âge. Et se dissoudre à mesure que le ressac fait déborder la marée du regard, encore, encore… Une dernière convulsion encore et la douleur s’apaise, laisse place à l’épuisement, à la paix. Puis au sommeil enfin, innocent et profond, comme celui d’un enfant.

Une corde vibre encore, grave et tendre, sous les doigts qui ont su libèrer sans violence les courants si longtemps retenus.

Les pleurs (M. de Sainte-Colombe) – Jordi Savall

Le regard en premier, fasciné, s’accroche. La pureté des lignes, les courbes, les reliefs, la douceur du teint. Ému aux larmes, cette cheville est si belle. Elle ne sait pas, m’ignore encore, toute à la douce oscillation de la jambe qu’elle fait naitre et résume à la fois. Attendre, retenir, prolonger ce moment suspendu, secondes égrainées au bout d’un escarpin. Et ma main sous la table, hésitante et sûre, cherche le chemin vers la tiédeur nichée là juste au creux. Tu regardes ailleurs, surface indifférente. Trahie par ce duvet léger qui tout à coup frissonne. Respirer lentement, ne pas aller trop vite, le désir obéit à la main qui le bride. Glisser à genoux, lentement, fermer les yeux, et aimer comme on prie. Les dieux aiment la dévotion des sens. Je pose mes lèvres à l’intérieur, juste sous la saillie de l’os. Laisser mes doigts parcourir la soie du mollet si fin et entendre la musique qui monte au fond du ventre. Un tango bien sûr. La cheville c’est la clé du tango. Libres de tout contrôle, mes lèvres cheminent sur tes cuisses. Elles trouvent enfin le tremblement de tout ton être, regard voilé, souffle éperdu, tes doigts crispés sur ma nuque. L’oubli, la source.

Les mots sont impuissants à dire le choc, le courant tellurique qui parcourt chaque cellule. La révélation. Vivre commence par ta peau.

Elle a toujours été là. Cette colère, ce truc noir et visqueux qui bouillonne. Tellement sombre que jamais je n’ai pu voir, au fond, ce qui en est la source. Alors la dominer, la contrôler, l’enfermer dans une sphère, solide, ce magma primaire, cette force brute prête à tous les ravages. Concentration, maîtrise, une vie sur le qui-vive pour ne pas la laisser s’échapper. S’épuiser de la force insensée qu’elle exige pour ne pas exploser. Puis un jour, ton regard, tes doigts qui effleurent ma peau. Sans crainte. Et la boule noire qui disparait. Je cherche dans les moindres recoins, ne la vois plus. Impensable et pourtant. Incrédule je te regarde sourire. Tu as compris déjà, avant moi, qu’elle n’existe plus, qu’il te suffit d’être pour qu’elle ne soit plus. Tu l’as toujours su. Ce vortex capable de détruire un monde, mon monde, avait donc son antithèse. Et l’univers son point d’équilibre.

Me reposer enfin. Il s’en fallait d’un cheveu.